Cogitation : Y  aurait-t-il  un contraire à l’aliénation ?    La « résonance » …

Y  aurait-t-il  un contraire à l’aliénation ?    La « résonance » …

 Phénoménologiquement parlant, Harmut Rosa rappelle que nous savons tous ce que signifie être touché par le regard ou la voix de quelqu’un, par un morceau de musique, par un livre, par un lieu, etc. Il s’agit de la capacité de se sentir affecté par quelque chose, et en retour de développer un intérêt intrinsèque vis-à-vis de la partie du monde qui nous touche. C’est ce que l’auteur appelle « résonance » pour désigner ce double mouvement d’affection (quelque chose de l’extérieur nous touche) et d’émotion (nous répondons en établissant une connexion). La résonance a une dimension physique (rythme cardiaque, tension artérielle, etc.), psychologique, sociale et cognitive. Elle est à la fois expérience, émotion, élément transformateur de la réalité, mais aussi moment de transcendance, qui n’est pas commandé ni contrôlé par le sujet. La résonance n’est pas écho et, en ce sens, elle présuppose la différence : il ne s’agit pas pour le sujet de s’entendre, mais de rencontrer un « autre ». Dans un monde totalement harmonieux, en consonance, l’individu serait incapable de sentir les effets de cette rencontre. En même temps, un monde où il n’y aurait que dissonance et conflit serait tout simplement répulsif. Sans être explicitement développées, les conséquences politiques de cette vision du monde s’avèrent ici importantes.

Hartmut Rosa distingue trois axes de résonance : social, matériel, existentiel. Le premier se situe au niveau des rapports interpersonnels. Le deuxième désigne la relation que les humains établissent avec certains objets – naturels ou artefacts, pièces d’art, amulettes, outils ou matériaux. Le troisième fait référence à ce qui nous lie à la vie ou à l’existence : la religion, les expériences esthétiques, le contact avec la nature, etc. Ces axes de résonance ne sont pas anthropologiquement donnés, soutient l’auteur, mais culturellement et historiquement construits. Leur existence est néanmoins indispensable à une « bonne vie ». En ce sens, le bien-être n’est pas une question de ressources. Il est plutôt lié à une façon particulière de se rapporter au monde – aux lieux et aux personnes, aux idées et aux corps, au temps et à la nature, à soi et aux autres. Augmenter les ressources ne devrait être qu’un moyen pour permettre ou faciliter ce rapport. La logique cumulative devient préjudiciable si elle est transformée en une fin en soi.

Passer à un mode de résonance exige de prendre le risque de se rendre vulnérable. Il exige de se laisser toucher, voire transformer, d’une manière non prévisible et non contrôlable. Cela étant, l’auteur admet qu’il serait insensé d’imaginer des êtres humains en mode de résonance permanent. La capacité de raisonner sur le monde, de prendre une distance critique et analytique à son égard, est bien évidemment l’un des acquis les plus importants de la modernité.

Le concept de résonance constitue un outil indispensable pour une critique des conditions sociales. Une bonne vie exige l’existence de conditions de résonance fiables et viables dans les trois axes mentionnés plus haut. En mode de stabilisation dynamique, les individus sont forcés dans un rapport instrumental et réifiant vis-à-vis des objets et des autres sujets, avec comme objectif l’augmentation et la sécurisation de leurs ressources. La logique omniprésente de la compétition mine, structurellement et systématiquement, la possibilité d’entrer en mode de résonance : si nous devons surpasser quelqu’un, nous ne pouvons pas résonner avec lui en même temps. Nous ne pouvons pas concurrencer et résonner simultanément. La pression du temps constitue un autre obstacle à la résonance. Il en va de même de la peur, qui nous oblige à dresser des barrières et à fermer nos esprits. Par conséquent, Hartmut Rosa conclut que les conditions de résonance nécessitent des contextes de confiance mutuelle et d’intrépidité ; et ces contextes présupposent à leur tour du temps et de la stabilité. Les processus bureaucratiques qui définissent les conditions de travail modernes, sont, par exemple, particulièrement problématiques pour les relations de résonance, car ils sont incompatibles avec l’évasion et le potentiel transformateur de ces dernières.

 

Pour vivre heureux, vivons « en résonance »

Dans son nouvel ouvrage, le socio­logue Hartmut Rosa propose la « solution » à cette quête frénétique et déshumanisante du toujours plus, toujours plus vite. Ce n’est pas la « décélération », mais ce qu’il appelle la « résonance ». Qu’entend-il par là ? C’est justement tout le problème. Rosa la définit comme un rapport au monde dans lequel le sujet ne cherche pas uniquement à s’approprier ce qui l’entoure mais entre en « résonance » avec lui – c’est-à-dire qu’il le transforme tout en se laissant transformer par lui.

Cette théorie de la résonance, en dépit de son flou, est féconde.

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